Pour que les stratégies circulaires fonctionnent véritablement, les marques doivent les envisager non pas comme des solutions de dernière minute, mais comme des priorités opérationnelles clairement reliées aux objectifs et cibles de l’entreprise.
En bref :
- Pour opérer dans les limites planétaires, les entreprises du secteur de la mode devront rompre avec l’approche linéaire et passer à des modèles économiques circulaires.
- Un nombre croissant d’entreprises adoptent des processus opérationnels circulaires, mais elles sont peu nombreuses à générer des résultats plus durables.
- Pour être efficaces, les stratégies circulaires doivent être intégrées au modèle économique et garantir le maintien de la valeur perçue des produits et services.
- Les marques ne pourront pas honorer leurs engagements si elles s’en servent simplement comme d’un outil marketing. Les modèles d’économie circulaire doivent dissocier les revenus de l’utilisation de matières et ressources vierges.
Les modèles d’économie circulaire dans le secteur de la mode ont le vent en poupe. Un nombre croissant d’entreprises développent en effet des systèmes de revente, de location, de recyclage et de réparation, espérant ainsi réduire les multiples impacts qu’ont leurs activités sur le climat et changer leur image de marque pour apparaître comme les leaders d’un avenir durable. Ces démarches innovantes débouchent toutefois rarement sur des résultats durables.
La plupart des initiatives circulaires sont considérées comme des projets spécifiques et ne font pas partie intégrante de l’activité de l’entreprise, et c’est précisément là que tout se complique. Dès lors, la question est de savoir s’agit-il d’un coup de projecteur au profit de la marque ou s’il s’agit véritablement d’une ambition à l’échelle du marché.
Pour que les stratégies circulaires fonctionnent véritablement, les marques doivent les envisager non pas comme des solutions de dernière minute, mais comme des priorités opérationnelles clairement reliées aux objectifs et cibles de l’entreprise.
Les actions menées ne se concrétisent pas en résultats durables
En dépit de leur potentiel de transformation durable, la plupart des modèles d’économie circulaire sont à la fois trop ambitieux dans leurs engagements et insuffisants en termes de bénéfices pour l’environnement.
Les entreprises du secteur de la mode commettent en effet un certain nombre d’erreurs.
Pas de vision à grande échelle
Si de nombreuses marques adoptent des stratégies circulaires, celles-ci sont généralement d’envergure limitée ou dans le cadre d’un projet pilote. Pour que les modèles d’économie circulaire aient un véritable impact, les marques doivent intensifier leurs efforts.
Un obstacle majeur est sans nul doute l’absence d’infrastructures et de moyens logistiques pour mener à bien des processus facilitant la circularité (collecte, tri et recyclage des textiles, etc.). Leur développement constitue un immense défi et une tâche impossible à réaliser par une seule entreprise. Une collaboration à l’échelle sectorielle est donc nécessaire pour repenser le système dans une perspective de transformation durable. Accroître les exigences réglementaires pourrait accélérer ce processus. Toutefois, le principal frein à la mise à l’échelle de la circularité provient bien des marques elles-mêmes.
En effet, les entreprises ne développeront des solutions en ce sens que lorsqu’elles y verront un réel intérêt. Le modèle linéaire actuel est rentable. La plupart des projets d’économie circulaire ne sont pas ancrés dans la réalité de l’industrie, ce qui rend peu attractifs les investissements dans les réorientations opérationnelles nécessaires pour mettre en œuvre la circularité. Les projets de circularité en contradiction avec le modèle économique existant ont peu de chances de réussir et finiront par être de simples outils marketing, se résumant essentiellement à du greenwashing. Dans ce contexte, il s’agit soit de changer d’approche par rapport à la circularité, soit de modifier le modèle économique lui-même.
Les marques ne dissocient pas les revenus de la production ni de l’utilisation des ressources
Un modèle d’économie circulaire efficace qui permet aux marques de l’industrie de la mode d’honorer leurs engagements net-zéro doit impérativement dissocier les revenus de la production et de l’utilisation des ressources. Les entreprises doivent non seulement repenser leurs produits (l’offre et les méthodes de production), mais également leurs activités marketing et leur relation client.
À ce jour, un grand nombre des modèles économiques qui fleurissent dans le secteur n’opèrent pas cette dissociation ou ne produisent pas les effets environnementaux recherchés. Il existe quatre raisons à cela :
1. Les marques n’associent pas leurs initiatives circulaires à une réduction des volumes produits
ou ne les intègrent pas de façon pertinente dans leurs stratégies opérationnelles. Elles mesurent la réussite de ces programmes aux volumes des ventes. À l’inverse, ces initiatives exigent des marques qu’elles se concentrent sur le taux de remplacement, qui mesure dans quelle proportion l’achat d’un produit d’occasion ou reconditionné remplace la demande et la fabrication d’un produit neuf.
2. Les marques ne font pas évoluer le comportement des consommateurs.
Stimuler la consommation est l’un des préceptes clés du secteur mondial de la mode depuis le milieu du XXe siècle. La mode éphémère se vend bien, car la clientèle a été habituée aux prix bas, au rythme effréné des cycles de la mode, à la nouveauté et au fonctionnel. Tant que les pratiques durables seront limitées à des grammes de produits de niche ciblant une clientèle aisée, la transformation à grande échelle dont le secteur a tant besoin ne deviendra jamais une réalité. Il s’agit de favoriser la demande à grande échelle de vêtements durables et résistants et en moins grande quantité. Il faut donc éliminer la pratique consistant à promouvoir des programmes circulaires par des incitations qui accroissent la consommation (favoriser la circularité en baissant les prix sur les produits neufs notamment).
Dans un modèle linéaire, le seul point de contact avec les consommateurs à lieu lors de la vente du produit. Les nouveaux modèles offrent au contraire un flux constant d’occasions de rencontrer les consommateurs, favorisant ainsi la fidélisation et garantissant les ventes futures.
3. Les produits ne sont pas conçus pour la circularité.
La plupart des vêtements et des chaussures ne sont pas conçus pour être réparés ou recyclés et, même s’ils le sont, les infrastructures nécessaires à l’adoption d’un véritable modèle circulaire par les marques comme par les consommateurs font défaut. Pour que les modèles économiques circulaires fonctionnent, les marques doivent également aborder la circularité et la durabilité des produits sous l’angle de l’écoconception, c’est-à-dire examiner les impacts environnementaux des produits tout au long de leur cycle de vie.
4. Les filières actuelles ne sont pas optimisées pour la circularité.
Elles ont été spécialement créées pour la production et la distribution linéaires et sont hautement mondialisées, fragmentées et complexes par nature. Il est donc difficile d’en assurer la transparence. Les marques devront améliorer la transparence et la traçabilité pour permettre la circularité et promouvoir le développement de réseaux locaux qui facilitent les initiatives circulaires.
Les marques ne sont pas motivées pour les bonnes raisons
Généralement, les marques sont obnubilées par la nécessité d’innover sans cesse au lieu de se concentrer simplement sur ce qui est pertinent (et requiert des efforts). Or, un système circulaire n’est jamais une fin en soi. Le but est plutôt de rechercher des solutions et de développer des actions qui minimisent les impacts environnementaux tout en maximisant la création d’une valeur durable. En d’autres termes, il ne faut jamais forcer des principes circulaires dans un système conçu pour l’économie linéaire.
Par conséquent, au lieu de greffer des initiatives sur des modèles économiques existants, il convient de prendre en compte le cycle de vie complet du produit, de sa production à sa fin de vie. Toutes les étapes de ce cycle de vie, de la première à la dernière, doivent concourir à l’obtention du résultat souhaité.
Un modèle d’économie circulaire efficace qui permet aux marques de l’industrie de la mode d’honorer leurs engagements net-zéro doit impérativement dissocier les revenus de la production et de l’utilisation des ressources.
Mettre en place des initiatives circulaires pour réduire son impact
Dans le secteur de la mode, la mise en place d’initiatives circulaires est un exercice d’équilibrisme difficile qui requiert une vision holistique de la part des marques. Il ne suffit pas de prendre en compte l’impact environnemental. Un modèle économique circulaire réussi doit également :
- contribuer à générer des revenus et à assurer la prospérité financière de la marque ;
- renforcer l’engagement client ;
- être viable du point de vue opérationnel.
Pour y parvenir, les marques doivent tout d’abord comprendre à quel niveau le changement est nécessaire et comment générer de la valeur. Ces informations sont essentielles pour identifier la meilleure marche à suivre et développer un modèle économique circulaire qui a des effets positifs sur l’environnement comme sur l’activité.
Réduire les facteurs d’impact environnementaux
Afin de favoriser la transformation, les stratégies circulaires doivent être étroitement liées à la stratégie de transformation durable globale de l’entreprise et prendre en compte l’éventail complet de ses impacts sur la nature, c’est-à-dire non seulement sur le climat, mais aussi sur l’eau, la biodiversité, la pollution par les plastiques, le changement d’utilisation des sols, etc. Conçues de manière décorrélées, les stratégies circulaires peuvent conduire à des opportunités manquées ou, pire, à des transferts d’impact inattendus.
Les marques doivent commencer par évaluer l’ampleur des impacts environnementaux de leurs activités (à l’échelle de l’entreprise et du produit) et s’appuyer sur les résultats pour identifier les principaux facteurs d’impact et définir les priorités en la matière. Cette évaluation peut servir de point de départ pour déterminer les objectifs des stratégies circulaires et les objectifs permettant de les atteindre.
Toujours dans le domaine de l’analyse, les marques devront élaborer des outils pour démontrer les bénéfices réels de leurs projets d’économie circulaire pour l’environnement. Prenez l’empreinte carbone d’une entreprise. En théorie, il peut paraître évident qu’un nouveau modèle qui prolonge la durée de vie d’un vêtement réduise également son empreinte carbone. Toutefois, pour en avoir la certitude, d’autres facteurs doivent être mesurés, tels que le transport et la consommation d’énergie.
À l’heure actuelle, les efforts pour déterminer si les impacts négatifs d’un projet l’emportent effectivement sur les impacts positifs sont encore insuffisants. Les impacts de circularité doivent être mesurables et intégrés dans une stratégie de transformation durable globale et les engagements en faveur d’un avenir durable, notamment pour parvenir aux objectifs fixés dans l’Accord de Paris.
Transformer son modèle économique pour générer de la valeur
Les entreprises ont par essence un but lucratif. Inutile de faire l’autruche : les modèles économiques circulaires doivent être aussi rentables que les modèles linéaires traditionnels et cette rentabilité dépend en grande partie de la mise en place d’un modèle économique qui soit à la hauteur des ambitions d’une marque.
Plus la stratégie de circularité d’une marque préserve la valeur perçue des produits et services, que ce soit en termes de fonctionnalité, de qualité, de tendance, d’action durable ou d’exclusivité, plus elle a de chances de réussir à la fois financièrement et du point de vue environnemental. Le secteur de la mode est particulièrement bien placé pour aider les consommateurs à se vêtir conformément à ses valeurs tout en continuant de cultiver son expression personnelle et son image de soi. Dès l’instant où la valeur est créée, il existe d’infinies possibilités de la proposer aux consommateurs.
Pour ce faire, les marques doivent examiner la valeur ajoutée de leurs produits pour les consommateurs et les modalités pour délivrer cette valeur ajoutée, puis identifier des pistes d’initiatives durables sur la base de ces informations. Par exemple, les marques spécialisées dans les articles de sport ont intérêt à expérimenter avec les services de réparation, de reconditionnement et d’entretien pour prolonger la durée de vie des vêtements, équipements et accessoires. Ce n’est qu’en explorant de nouveaux modèles économiques que les marques pourront induire un véritable changement.
Pour soutenir ces efforts, les consommateurs doivent être récompensés d’une manière qui les encourage à adhérer aux modèles économiques circulaires plutôt qu’aux modèles linéaires. Cela implique de mettre en œuvre des techniques d’engagement client et de promouvoir la réutilisation des vêtements, tels que la conception d’articles exclusivement destinés à la plateforme de location de la marque ou la possibilité pour les utilisateurs des plateformes de particulier à particulier d’effectuer du troc en plus de la vente d’articles.
Optimiser la (re)mise en circulation
Pour une stratégie circulaire efficace, les marques de mode devraient commencer par privilégier la création de vêtements durables, susceptibles d’avoir une seconde vie. L’utilisation de matières de meilleure qualité et de techniques d’assemblage robustes permettant de renforcer les zones exposées à l’usure peut largement contribuer à produire des vêtements idéalement adaptés à la circularité.
Si possible, les entreprises devraient également envisager des créations modulaires et modulables, avec des composantes interchangeables ou amovibles. Cela simplifierait non seulement le reconditionnement à des fins de circularité, mais permettrait aussi aux consommateurs de réparer plus facilement leurs vêtements pour en étendre la durée de vie du produit. La réputation de la marque pourrait même en bénéficier indirectement.
Naturellement, l’utilisation de matières recyclables est la solution la plus facile. Les produits fabriqués à partir d’une seule matière ou qui ne contiennent pas de mélanges de fibres complexes (ce qui facilite leur séparation à la fin du cycle de vie) auront une probabilité plus élevée de rester en circulation et de ne pas se retrouver dans les décharges. Les marques devraient également envisager de limiter l’usage d’attaches et fermetures, qui peuvent compliquer le processus de recyclage.
L’attention portée à la création du produit est un facteur de réussite en termes de circularité. Toutefois, faute d’engagement client, même le vêtement le plus résistant pourrait finir à la décharge. L’industrie doit donc éduquer les consommateurs sur les produits qu’ils achètent et sur leur impact environnemental.
Se conformer aux réglementations les plus récentes
De nouvelles réglementations sont en cours d’élaboration, en particulier dans l’Union européenne, où un dispositif contraignant de responsabilité élargie des producteurs (REP) de textiles, spécifiquement conçu pour prévenir les excès de la mode éphémère, fait actuellement l’objet de discussions.
Non seulement les entreprises du secteur de la mode ne doivent pas s’opposer à la mise en place de ces réglementations, mais elles devraient également les anticiper et s’y préparer : plus elles tardent à le faire, plus le coût sera élevé.
Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, la réglementation rend les règles du jeu plus équitables en éliminant les problèmes liés aux avantages concurrentiels et en établissant des bases solides propices à l’innovation. Les entreprises ont là une occasion d’apporter leur pierre à l’édifice en prenant part au dialogue sur cette question.
Ne restez pas sur la touche
Si les grandes enseignes ne renoncent pas au modèle obsolète consistant à puiser dans les ressources pour fabriquer et jeter ensuite, et si elles ne se réinventent pas pour générer de la valeur, elles seront mal préparées et mal équipées pour affronter la vague de réglementations sur le développement durable qui s’apprête à déferler.
Le secteur de la mode doit accepter le fait que « nuire moins » n’est pas tenable. Les entreprises doivent continuer de développer de nouveaux modèles économiques à grande échelle, d’innover et de promouvoir les pratiques louables et nécessaires dans tous les domaines où cela est possible. Il n’y aura pas de solution parfaite ou indolore. Par conséquent, elles doivent concentrer leurs efforts sur des actions réalisables.
L’avenir de la planète en dépend.
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