Transformation durable : à quel prix ?

Génération Glasgow, une volonté de lever les obstacles à la transformation

Des données indéniables. 

Les constats scientifiques sont sans appel – un futur environnemental, économique et social désirable ne peut aller que dans une direction : celle d’une économie dont le modèle s’inscrit dans les limites des ressources de la planète. Entre les dernières catastrophes climatiques, les conclusions accablantes du sixième cycle d’évaluation du GIEC et le rapport sur l’Évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques de l’IPBES, est-il nécessaire de chercher d’autres confirmations ? Nous voilà face à la plus grande menace pour l’humanité. 

Si les responsables politiques cherchent encore un terrain d’entente pour entamer la transformation, nombre de dirigeants de grandes entreprises opèrent déjà des changements au sein de leurs sociétés en suivant une trajectoire plus durable. Ils sont chaque jour plus nombreux à estimer qu’une transition ambitieuse est indispensable pour pouvoir maintenir leurs activités et ils s’accordent à dire que l’avenir des affaires ne peut être autre que durable. Il s’agit d’un revirement considérable par rapport à il y a cinq ans seulement — et c’est un signe que les choses commencent à prendre la bonne direction.

Pour autant, cette transformation n’a encore atteint ni l’échelle ni la vitesse nécessaire. Les pivots effectués sont encore loin d’être suffisants, soulevant la question suivante : si les entreprises ont le pouvoir de mettre en œuvre la transformation plus rapidement que les gouvernements, qu’est-ce qui empêche donc les avancées nécessaires pour éviter les scénarios climatiques catastrophiques ? 

Cette question est préoccupante. Cependant, plutôt que de mettre en exergue un constat défaitiste pré-apocalyptique, elle indique que quelque chose ne fonctionne pas. Est-ce l’incapacité des dirigeants à projeter une feuille de route précise d’engagements ? Y a-t-il des obstacles impossibles à surmonter ? Ou bien l’enjeu lui-même est-il trop complexe et interconnecté pour que les entreprises puissent avoir la main sur leur propre réinvention ? Une chose est sûre: il n’y aura pas de transformation sans courage de la part des leaders d’aujourd’hui. Pour leur permettre d’affronter les vents contraires, voire d’oser certains renoncements.

Vers une économie dont le modèle s’inscrit dans les limites des ressources de la planète.

L’horloge tourne et le temps des promesses est révolu. Il est maintenant temps d’agir et d’obtenir des résultats. 

Isabelle Grosmaitre, fondatrice de Goodness & Co, Dimitri Caudrelier, PDG de Quantis et Emmanuelle Duez, fondatrice de The Boson Project, ont uni leurs forces pour décrypter quels sont les obstacles à la transformation auxquels se heurtent les dirigeants — pour les aider à les surmonter.

Au cours des 6 derniers mois, le trio a interrogé des dizaines de PDG et de hauts-dirigeants des plus grandes entreprises dans différents secteurs pour recenser les principaux enjeux d’une transformation durable au sein de leurs organisations, identifier les leviers clés de la transformation et déterminer à quel point cette trajectoire durable suscite leur confiance. 

Voici, entre autres, ce qu’ils ont retenu de ces entretiens. 

Une véritable transformation est aussi culturelle.

Les engagements les plus ambitieux et les stratégies les plus audacieuses ne seraient rien sans la mobilisation de tous les métiers à tous les échelons. Pour passer des intentions à l’action pérenne, un œil critique doit être posé sur la culture de chaque entreprise et les biais qui peuvent saboter la mobilisation humaine sur les objectifs environnementaux fixés. Parmi les retours d’expérience qui ont porté leurs fruits pour insuffler les pivots : inviter les jeunes et diverses parties prenantes à prendre place à la table de direction des entreprises pour bousculer les cadres de pensée ; la (dé et re) formation des dirigeants et des salariés pour leur faire oublier les mauvais réflexes et conceptions et les remplacer par des comportements conscients, qui abordent les enjeux de manière holistique.

Une nouvelle coalition : la collaboration s’impose.

Une transformation requiert non seulement une action collective, mais aussi de fortes coalitions qui doivent s’inscrire dans un cadre bien plus vaste que le simple contexte de l’entreprise. Fini les « cavaliers seuls » détenteurs possessifs des bonnes pratiques, l’heure est à la collaboration. Bâtir des passerelles avec des concurrents, des organisations non gouvernementales et des communautés locales, les dirigeants l’affirment, c’est indispensable. Il faut avoir du courage pour sortir de ses retranchements, ces coalitions sont donc essentielles pour combler les lacunes en matière de connaissances, mettre en commun les efforts et les ressources et attirer des regards neufs pour remettre en question le monde des affaires et, d’une manière plus générale, renforcer la puissance de la volonté de changement.

Il est temps de réinventer les structures de gouvernance des entreprises.

Bien que le développement durable constitue une question stratégique et opérationnelle, peu nombreuses sont les entreprises dotées de structures organisationnelles conçues pour le traiter comme tel. Si les dirigeants doivent conduire des programmes ambitieux, qui révolutionnent complètement leurs entreprises, la gouvernance de l’entreprise doit, elle aussi, être transformée. Les dirigeants interrogés ont souligné la nécessité de passer d’une économie d’actionnaires à une économie de parties prenantes. Le défi : obtenir l’adhésion des membres du conseil d’administration, des actionnaires et de la direction à cette vision également.

L’importance de la finance ne doit pas être sous-estimée.

Ces dernières années, le secteur de la finance a tiré la sonnette d’alarme — s’il ne s’agissait au départ que d’investisseurs isolés, ils reconnaissent aujourd’hui plus largement la nécessité d’un changement de paradigme. Il existe un élan, le plus urgent est de tirer parti de cette mobilisation – particulièrement visible lors de la COP 26 – et d’en profiter pour passer à l’action. Les personnes interrogées ont insisté sur le besoin de redéfinir la notion de performance afin d’y inclure une valeur non financière, les engagements des actionnaires en faveur du financement de la transition et de l’harmonisation des normes d’information.

Il est nécessaire de motiver le changement à l’échelle gouvernementale.

La quasi-totalité des personnes interrogées estime que le soutien du gouvernement est un levier essentiel pour concevoir une transformation à l’échelle systémique. Ce soutien permet en effet d’égaliser le terrain en tirant les retardataires de l’industrie vers le haut, d’envoyer un message positif à ceux qui sont à l’avant-garde et il constitue une véritable motivation pour favoriser des modèles économiques durables. Les entreprises doivent renforcer le dialogue avec les gouvernements, afin de collaborer sur des normes plus robustes et communes — plutôt que disparates — et veiller à instaurer des cadres réglementaires adaptés à la transformation.

D’un entretien à l’autre, les obstacles qui se dessinaient étaient de même nature – principalement structurelle et culturelle. Il s’agissait d’une première, pour beaucoup de dirigeants, de parler ouvertement et franchement de ces défis. Et il était clair pour Dimitri, Isabelle & Emmanuelle qu’il y avait là un enjeu à adresser – donner aux dirigeants l’opportunité de se réunir pour partager leurs expériences et principales difficultés et leur permettre de concevoir conjointement des solutions visant à éliminer les points sensibles majeurs qu’ils ont en commun.

S’appuyant sur ce premier travail d’état des lieux, Goodness & Co., Quantis et The Boson Project travaillent main dans la main à la création de Generation Glasgow, un mouvement de dirigeants d’entreprises désireux d’aller au-delà de la ronde de conférences sur le changement climatique et de se frayer un chemin vers la transformation. Les premiers membres sont issus de grandes entreprises des secteurs de l’alimentaire, de la mode, des cosmétiques, de la finance, de l’hôtellerie et de l’assurance, dont les chiffre d’affaires cumulés s’élèvent à 123 milliards d’euros. Plus de 30 organisations sont représentées, dont Accor, Aigle, Bel, CliMates, Camif, Chanel, Decathlon, EM Lyon, Eurazeo, Groupe Rocher, HEC Paris, Interface, L’Oréal, Maif, Réveil Écologique, Schneider Electric, Sycamore Asset Management, Time for the Planet, Veolia, Jeunes Ambassadeurs pour le Climat (JAC). Leur regard a été enrichi par des leaders d’opinion en matière de durabilité, notamment Bertrand Badré, Dominique Bourg, Emmanuel Faber et d’autres.

Toutes ces entreprises partagent la même volonté d’agir face au plus grand défi auquel notre société ait jamais dû répondre. 

Nous vous tiendrons informés des prochaines actions de la Génération Glasgow début 2022. 

Isabelle, Dimitri & Emmanuelle